Georgius

Roule, roule (le mécanicien et la garde-barrière)

Georgius
Le jeune conducteur du train de marchandises
Qui va de Saint-Brieuc jusqu'à Romorantin,
Transportant du charbon, du poisson, des cerises,
Ce conducteur, disais-je, avait le gros béguin
Pour la garde-barrière de Bouilladin sur Grive
Et chaque fois qu'il passait au passage à niveau
Hop ! Il ralentissait sa grosse locomotive
Pour lui chanter cet air issu de son cerveau

Roule, roule, mon joli train
Je sens rouler aussi mon âme et ma cervelle
Grincent, grincent, grincez mes freins
Je sens grincer mon cœur pour toi, pour toi, ma belle
N' pouvant lui jeter des fleurs, il lui jetait du charbon...
Tandis que, rougissante, elle comptait les wagons
Roule, roule, roule toujours
Roule et grince, beau train d'amour...

Un matin qu'il filait à vingt-et-un à l'heure
Il pensa "La fortune sourit aux audacieux"
Au passage à niveau, là, devant sa demeure,
Il stoppa, descendit et dit l'œil comateux
"Je vous aime, je vous veux, je ferai des bêtises"
Elle restait pantelante. Il reprit "Croyez-moi,
Nous irons à Paris, sur mon train d' marchandises"
Elle oubliait de fermer sa barrière en bois

Roule, roule, train pas pressé
Et là-bas, sur la route, le drame se dév'loppe
Grincent, grincent, freins mal graissés
Une petite Rosengart conduite par un vieux myope
S'engouffre dans le passage, pulvérise le train... ah !
Et sans se rendre compte, continue son chemin
Roule, roule, train de malheur
Roule, tête du conducteur

D'un chaos de wagons le talus se tapisse
Les cerises, le charbon, les pieds du conducteur
Un crie monte : ce sont les poissons qui gémissent
Et la garde-barrière sanglote de terreur
Nouvelle Salomé, elle court, elle saute
Ramasse la petite tête de son cher adoré
Elle baisote ses moustaches lui disant "C'est ma faute
Si t'es mort en service et le train défoncé"

Roule, roule, train de malheur
Maintenant, le tocsin sonne dans les villages
Grincent, grincent, freins de mon cœur
De partout on accourt, elle pousse un cri sauvage, ouh !

Après bien des recherches, au bout d'une heure ou deux
On la retrouva morte dans le wagon de queue
Roule, roule, train de ferraille
Elle avait avalé un rail !

[variante des quatre derniers vers:]
Et maintenant, la pauvre folle qu'on aperçoit
Les soirs d'hiver, cherchant sa voix le long des voies
C'est elle, c'est elle, la garde-barrière
Elle passe les rails au papier d' verre !

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