L'amitié
Michel bühlerSous la lampe qui fume, et dont la flamme bouge,
On chante avec des vieux des chansons du pays,
On sourit de plaisir à se voir réunis.
Ils sont tous là: les gros, les barbus et les moches,
Ceux qui courent la montagne les deux mains dans les poches,
Ceux qui ont grande gueule, ceux qui ont des mains noires,
Ceux qui font des affaires, ceux qui n'ont plus d'espoir.
Et quand la nuit vient battre contre nos carreaux,
On s'arrête, on se sent pris par un souffle chaud:
L'amitié...
Quand, le bonnet sur l'oeil et les souliers pesants,
Sous les rires entendus des passants méprisants,
On avançait sans joie, on allait sans savoir,
Dans le matin brumeux ou dans le triste soir.
Nos habits étaient sales, notre bras était prompt
A rendre le coup reçu, notre bouche aux jurons.
Et quand, sous un rocher, on s'arrêtait enfin,
Nous n'avions que du pain pour calmer notre faim.
Puis le calme venait, se taisait le ruisseau,
Les étoiles naissaient, et puis ce souffle chaud:
L'amitié...
Quand la fête est finie, quand l'amour s'est éteint,
Quand les braises se meurent et que vient le matin,
Quand le brouillard descend, quand se lève le vent,
Quand l'hiver, aux feuillages, a ravi le printemps,
Quand le coeur s'effiloche, quand hésitent les mains,
Quand les yeux sont usés à regarder demain,
Lorsque pèse le temps et que la lassitude
A gagné le combat, dans notre solitude,
On recherche le jour, on revient à la vie
Quand renaît ce vent chaud qui est notre patrie:
L'amitié...