La plongée
Adolphe bérardLe sous-marin quitte le bord
Et devant l'escadre rangée
Vers la haute mer sort du port
La grande bleue n'est pas mauvaise
Et le timonier, un bon gars,
Rêve à la belle Toulonnaise
Qu'il tenait hier entre ses bras
Mais là sur le pont, la mine hagarde,
Un matelot, l'air sournois, le regarde
Au gré de la vague berceuse
Vogue le sous-marin
Fuyant la côte sinueuse
Qui s'efface au lointain
Du timonier, soudain, l'homme s'approche
Et saisissant son couteau dans sa poche
Il rugit "Je vais t'égorger
Comme un chien, un chien enragé,
La brune Conchita dont tu pris la caresse
C'était ma maîtresse !"
L'amant trahi lève son arme
Comme un éclair l'acier reluit
L'autre a jeté son cri d'alarme
Et tout l'équipage a bondi
On saisit la brute, on l'entraîne
Et malgré tous les matelots
Le forcené, folie soudaine,
Brise la glace du hublot
Alors, s'engouffrant, la mer écumante
Fait du bateau une tombe mouvante
Là-bas dans la salle fumeuse
D'un bouge de Toulon,
Frivole, une fille moqueuse
Fredonne une chanson
Sans se douter qu'au lointain, sous la houle,
Pour ses yeux noirs un drame se déroule
Elle danse un tango berceur
Offrant sa lèvre à son danseur
Et ne saura jamais le mystère effroyable
Du gouffre insondable